Artistes en Arctique

Depuis le temps qu'on l'attend, la guette : voici à quoi cela ressemble, comment cela se passe.

Tout d'abord, il y a d'imperceptibles changements, rien de très flagrant mais quand même : il y a quelque chose qui n'est pas pareil. L'eau semble s'alourdir, le clapotis n'a plus la même fluidité. Cela peut durer des jours, on guette les paillettes de glace dans les seaux d'eau que l'on écope mais ce n'est pas encore visible. Pourtant par endroit, des veines à la surface plus lisse commencent à zébrer la mer. Puis soudain l'eau s'épaissit pour de bon et se charge de cristaux. C'est encore transparent, comme un potage clair dans lequel on aurait versé du tapioca. Par endroit cela prend même des aspects de bouillon lorsque la glace s'agglomère en petites boules qui affleurent en œil huileux. Ensuite c'est la surface qui se fige par petites plaques, une fine peau de glace se forme. Là cela ressemble à de grandes feuilles de nénuphars qui se multiplient, se rapprochent et se soudent en s'emboitant comme les pièces d'un puzzle géant. La mer s'appesantit, se fait silencieuse et se transforme en un autre élément. Une croûte solide sur laquelle la neige peut se déposer, un grand écran blanc où se projettent désormais les ombres des montagnes et du Manguier modifiant notre perception du paysage. Un miroir qui accroche dans ses cristaux les rayons rasants du soleil de novembre.

Aujourd'hui le ciel est bleu polaire légèrement turquoise, les collines enneigées rosissent sur les flancs sud et émergent d'un banc de blizzard. Ce matin, nous avons aperçu une tâche sombre mouvante sur le blanc immaculé de la toundra, les jumelles ont fait le point : un renard roux occupé en galipettes dans la poudreuse.