Ça y est je marche sur l’eau !
Tel le prophète je m’avance sur l’océan.
Je défie la gravité qui devrait me faire sombrer dans les profondeurs limpides.
Un pas…puis un deuxième, le voyage est intense, l’équilibre précaire ! Chaque pas est un événement. La texture de l’eau solidifiée change sans arrêt et me surprend. Mon corps est à l’affût, mon oreille interne s’est déplacée sous la plante de mes pieds. L’appui se dérobe, la glace est là. Je perds une jambe dans l’eau devenue farine, je suis un homme tronc.
Le bruitage de mes pieds foulant le sol arctique m’interpelle. Croustillant, craquant, feutré, silencieux. Une symphonie de l’eau solide !
Impossible d’être discret.
Derrière moi la trace, le chemin de mes aventures pédestres, le sillage de mes pas sur l’étendue givrée.
Devant moi l’inconnu, le chemin à créer, à chaque instant.
Nulle direction particulière, l’objectif se dessine dans le présent.
Les reliefs se perdent sous le manteau neigeux. Les bosses et les creux se jouent de moi.
Je m’avance un peu plus et j’écris mon histoire. Une histoire en noir et blanc. Ou plutôt avec des noirs et des blancs. L’infinie nuance de ces deux teintes n’en finit plus de me surprendre. Ici ces deux non-couleurs se fractionnent en une palette d’une incroyable variété.
Et même les animaux ont pris les couleurs locales.
Corbeaux noirs et mouettes blanches.
Renards noirs et renards blancs.
Bruants noirs et blancs.
Eiders blancs et noirs.
La nature sait y faire !
Mon costume ne dépareille pas. Je me fonds dans le décor en espérant passer inaperçu.
Mais une tâche vient perturber ce film des années 20.
Mon pif est un phare, un phare du bout du monde ! Un point vif illuminant la banquise. Une exubérance qui fait de ma présence ici une monstruosité du pôle.
La bête est lâchée…