
Ce titre sonne solennel et abstrait. Cependant je voudrais suggérer que le concept de l’art tel que nous le voyons aujourd’hui était une part nécessaire – et même vitale – de l’existence quotidienne de nos ancêtres et de leur lutte pour survivre dans l’environnement arctique du Groenland.
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Sans une vie intérieure il n’y a pas de monde extérieur ; en d’autres mots, sans imagination, il n’y a pas de réalité.
Ou encore : si vous n’avez pas appris, absorbé, compris, réalisé l’importance de votre force intérieure, pour survivre en tant qu’être humain dans une communauté humaine, votre monde reste étrange et frustrant. Sans imagination et visions, vous n’êtes qu’une coquille vide, pas un être humain à part entière.
Je me hasarde à suggérer que, autrefois, l’existence était si intense qu’il ne restait pas de temps pour mettre en question la nécessité de l’art. L’art, et par conséquent la vie intérieure, était une nécessité basique dans la lutte pour la vie. Ainsi, le concept d’art ne se trouva jamais distinct ni ultra sophistiqué comme il l’est dans la pensée européenne, il devint au contraire une partie naturelle du quotidien, une façon de vivre, une philosophie, une attitude envers la vie.
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La vie culturelle était originale et forte car elle était née d’un peuple frugal dans une nature frugale. En même temps, elle avait ses racines à l’intérieur de l’homme. Cette façon de vivre a été transmise à travers les générations et a survécu malgré de grands changements et transformations […]. Les moyens de communication, le niveau de vie, la structure de la vie en société et en communauté, ont subi des transformations fondamentales, mais la nature dans toute sa puissance n’a pas changé.
Le Groenland est toujours la plus grande île du monde, les distances demeurent les mêmes, les forces et caprices de la nature refusent de se soumettre à des humains « à l’esprit pratique » ou à leurs savants calculs et stratégies. Le froid, l’hiver, l’obscurité, l’été, la chaleur, le soleil de minuit – tout ceci reste, quels que soient les taux de change et les fluctuations des marchés.
Dans sa forme essentielle, l’art comme nécessité est le don de célébration : la joie de vivre, exprimée à travers la création et le compagnonnage artistiques.
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Autrefois, de grandes célébrations avaient lieu chaque automne pour l’âme de la baleine, et ces fêtes devaient toujours commencer par des chants nouveaux. Il fallait conjurer les esprits avec des mots frais : les chants usagés ne devaient jamais être utilisés quand hommes et femmes dansaient et chantaient en l’honneur des grands animaux. C’était notre coutume d’éteindre toutes les lumières jusqu’à ce que les participants aient trouvé les paroles de ces chants. La salle commune devait être plongée dans l’obscurité et le calme. Rien ne devait déranger ou divertir : dans un profond silence, les gens restaient assis pensifs dans le noir – tous les gens, les vieux, les jeunes, même les tout petits enfants.
CE SILENCE
NOUS L’APPELIONS
« QUARTSILUNI »
CE QUI SIGNIFIE
ATTENTE
D’UN JAILLISSEMENT.Car nos ancêtres croyaient que les chants naissent du silence, pendant que tous se concentrent sur de belles pensées ; alors les chants prennent forme dans l’esprit des gens et s’élèvent à travers les profondeurs de la mer comme des bulles cherchant le jaillissement. Ainsi étaient créés les chants sacrés.
Ceci fut conté à Knud Rasmussen par une femme inuit de l’île de Nunivak.
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Source: Article de Aqigssiaq Moller (choisi et traduit par Karin Huet), paru dans The Flying Kayak, Contemporary Art from Greenland, Ed. Nordic Art Center, 1994.

Dimensions : 21x 43cm
Matériaux : plume d’aigle, os de phoque
Technique : peinture acrylique, collage, sculpture
Origine : Groenland
Année de réalisation : 2016
Absolument magnifique ! Et tellement en accord avec l’état d’esprit de cette résidence. Quel écho ! Merci Karinouchka, tu nous combles !
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