Depuis trois jours Le Manguier est au mouillage dans une crique de l’île Mac Coll (archipel de Button Island près du cap Chetley) en attente de la renverse du vent indispensable pour entamer le voyage vers le Groenland. Stoïque, il étale les rafales du vent d’est, la brume et de temps en temps une petite pluie.
Le site est austère, âpre, dépourvu de toute végétation arbustive si ce n’est les mousses, les lichens noirs couvrant la plupart des roches polies par les anciens glaciers ou dévalés en éboulis de la falaise abrupte qui borde le chenal du mouillage. Quelques névés d’où sortent des ruisseaux qui vont alimenter des lacs, des mares et tourbières mousseuses ponctuent les flancs de ce relief tourmenté. Un espace froid, minéral sans compromis.
Les jours se succédant confirment les premières perceptions d’ambiance, le temps parait arrêté. Si les heures tournent et passent inexorablement, le jour succédant à la demie lumière de la nuit. L’immuabilité de l’environnement est à peine troublée par le cri des oiseaux de mer, qui nichent dans la grande falaise dressée sur bâbord, la nage saccadée et fébrile des guillemots, la tête d’un phoque curieux, les variations de la marée montante et descendante, la venue de la brume ou son étiolement repoussée par le vent, la timide apparition d’un pâle soleil, fugace et peu généreux.
Lors des descentes à terre ou des promenades en canot dans les chenaux et les calanques s’ouvrant au détour de quelque écueil et ilots, l’impression première d’un arrêt de temps est prouvé une fois de plus par la présence des roches erratiques posées de ci de là, abandonnées par le retrait des glaciers. Partout sur les arêtes, les plateaux, les petits sommets arrondis, petites pierres, gros rochers ponctuent ce paysage de bout de monde (finis terrae).
Demain matin très tôt on quitte la terre de Caïn.
Artistes en Arctique 