Depuis Kassarfik on entend les bruits de la ville, à 5 km de distance : les aboiements des chiens ! On croirait que l’air de février a une texture particulière, qui sélectionne et amplifie pour nous l’allégresse de ces bêtes enfin entrées dans leur période d’activité.
Les chiens, je les vois depuis des mois, en ville, chacun éternellement au bout de sa chaîne, sauf les petiots qui jouissent d’une éphémère liberté. Les chiens, je les entends aboyer d’enthousiasme depuis que je suis au Groenland, lorsque je passe à côté d’une meute au moment où le maître vient distribuer la pitance (poisson gelé, croquettes, restes de cafétéria, gras de phoque… ça dépend). La plupart des meutes sont logées en lisière de la ville : des banlieusards. De rares meutes, appartenant à des anticonformistes, habitent près de la maison du maître. Telle celle de Peter, qui m’a laissée caresser les chiots, grattouiller les mamelles des mères, farfouiller affectueusement les ventres des mâles vautrés de volupté et tournant de l’œil après qu’ils m’aient d’abord embrassée avec emportement, debout les deux pattes avant sur mes épaules. Souvenir unique car… «Ce chien est en train de montrer qu’il te domine ! Ne le laisse PAS faire ça », m’a tancée Aksel, alors que –joie et honneur pour moi- son chef de meute se lançait dans cette privauté. Aksel garde ses chiens groupés autour de sa maisonnette mais ils doivent apprendre obéissance, discipline et concentration car ils sont destinés à trotter sur la glace de mer et à en pressentir les dangers. « Peter t’a laissée faire ça ? Peter est danois ! Il n’est pas un Chasseur». Bref, dans ce pays, il faut se dispenser d’échanger des témoignages d’amitié avec les chiens. « Ce ne sont pas des animaux de compagnie », spécifient des écriteaux à l’intention des touristes. Notre camarade Suulut, guide patenté et futur concurrent de la course de traîneaux en mars, ne rate pas une occasion de souligner la parenté de tel ou tel de ses chiens avec le loup.


Vint la neige, et les premiers traîneaux entrèrent en action dans les rues : poussés par les humains, tels des caddies de supermarché ! Ou tels des landaus. J’aperçus un couple de vieillards poussant sur un traîneau deux chiots blottis dans une boîte. Les chiens adultes restaient enchaînés. Vinrent les mois sombres. Les chiens, forçats inactifs et résignés, étaient toujours enchaînés. Les humains s’angoissaient : et si, comme l’hiver dernier, la mer n’allait pas geler?
Ah quelle frustration, en 2015-16, que cette absence de glace ! Stine, qui venait de déménager de Nuuk vers Aasiaat pour que ses enfants connaissent la banquise, cette donnée de la vie des ancêtres, et le plaisir des promenades au loin vers le bord de la glace et les rencontres avec les pêcheurs et la dégustation sur place du poisson gelé… Stine était dépitée. Début 2017, Suulut Piitaaq, grand ordonnateur pour la municipalité des événements culturels (parmi lesquels la course de traîneaux à l’échelle nationale), nous enjoignait de PRIER pour que la mer gèle.
Voici que les prières sont exaucées, et le soleil nous fait coucou par-dessus la crête de l’arrière-pays, et chaque jour est plus long et lumineux que le précédent. La petite île d’Aasiaat n’est plus isolée de la grande île du Groenland. Skidoos et traîneaux à tire-larigot traversent le chenal englacé vers le sud-sud-est et les chiens, queue haute et langue en drapeau, tricotent des guibolles par monts et par vaux. Et sur le vaste pays neigeux ils sèment de joyeux petits soleils de pisse.
Beau partage qui donne envie de vous rejoindre, vous, Peter et ces chiens, et ce corbeau… pour être confrontée à la rudesse et à cette beauté … Belles photos qui me donnent envie de vous rejoindre en Arctique, et qui me ramènent spontanément au Grand marin de Catherine Poulain (voir mon papier d’avril sur mon blog http://www.beagernot.typepad.com) Merci pour ces mots et ces mots du vaste pays neigeux !
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Salut les « non animaux de compagnie » ! .
amicizia canine
Epsilon
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