Faire cuire l’omelette est un des grands plaisirs de la vie. On éprouve la même joie chaque fois, quand la goutte d’œufs battus se fige instantanément sur la surface de la poêle bien chaude, signifiant que la magie va commencer ! On verse dans la poêle tout le liquide préparé, on le voit coaguler illico presto sur sa face inférieure et là –extase !- on peut, de la fourchette, soulever ou inciser les bords de cette crêpe, pour faire couler dessous l’œuf encore liquide et former ainsi le mirifique et incroyable feuilleté de l’Omelette.
Regarder la banquise se former dans le port d’Aasiaat, au début de ma semaine de « professorat » au lycée, était un délice de même acabit. Le froid jouait le rôle de la poêle à frire. La mer, bien sûr, était le liquide transmuté en solide. Et les bateaux me faisaient penser à la fourchette, qui, -arrière-avant-arrière-avant-, de leur étrave et/ou de leur hélice, cassaient la couche de glace. Épaisse déjà d’une dizaine de centimètres, cette glace se morcelait en grandes plaques géométriques, qui faisaient branler le chef aux hors-bords ou, poussées par le courant provoqué par les puissants moteurs des chalutiers, filaient se ficher sous le reste de la banquise. La comparaison avec la fourchette s’arrête là. Car, même si la mer regelait derrière eux, les bateaux ne travaillaient certes pas à la formation de la banquise, mais cherchaient à s’y frayer un chenal pour partir en eau libre traquer qui la crevette qui le phoque et le narval. L’entêtement des petits canots de chasseurs, avec leur coque en plastique tressautant sur les floes, aussi déterminés que s’ils étaient le Lénine lui-même, était pour moi motif d’une autre sorte d’émerveillement.
Puis ce fut le blizzard. La neige tira sa couette blanche sur le saisissement des flots. Puis il n’y eut plus d’eau libre en vue, les bateaux renoncèrent et rentrèrent au port. Les canots se jetèrent en avant toute pour monter s’échouer sur la banquise. Les grosses unités s’encastrèrent en épi devant le quai afin de ne pas être bousculés par le « pied de glace » dû aux marées. Puis je rentrai à Kassarfik et au Manguier dans son soufflé de neige.
À Kassarfik, comme on sait, l’omelette est prise depuis longtemps. L’épais matelas de neige réchauffe-t-il la glace ? D’autant que l’air (climatiquement tiédi) balance entre -15° et -8°. Nous marchons sur du « terrain lourd ». La botte s’enfonce dans une gadoue, parfois complètement aqueuse. Quelle épaisseur a la couche gelée, là-dessous ? Sondage : 60 centimètres. Banquise baveuse.
Le grand retour de la science papaoute… Ou le jargon dézingué ! Sus au métalangage cryptique, parlons plutôt omelette avec une bonne grosse comparaison en forme de poêle à frire gargantuesque. Karin avait sans doute faim en écrivant ce post.
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