Vous vous rappelez Holmi ? Qui durant le mois d’octobre s’amarrait au bout de « notre » quai pour dès potron minet frénétiquement décharger des ferrailles et dont l’étrave tavelée par la rouille constituait notre panorama en ouvrant la porte du carré ? « Remorqueurs et navires spéciaux » : c’est dans cette catégorie que marinetraffic.com classe ce rafiot. Un frère du Manguier, donc. Il était naturel que j’embarque sur Holmi, pour un petit voyage aller-retour vers Ilulissat.

Quand je dis rafiot, c’est par pudeur. En fait Holmi a la silhouette de mes rêves, la matière, le son. C’est le navire du capitaine Olsen, de Maqroll el Gaviero, de Corto Maltese. C’est le navire de Kjeld Petersen.
« Hou ha ! a very special ship ! » dit-il en se grattant le bonnet, pouffant et secouant les badigoinces d’un air désespéré et ravi… Kjeld, né en 1943, a commencé par naviguer à la marchande, sur des tramps. St Brieuc, Tréguier, Brest (ah le Pernod !), l’Inde, la Thaïlande, la Chine. Quand les cargos sont devenus porte-containeurs, il a décroché. Il naviguait déjà depuis dix ans au Groenland lorsque, en 1986, il a acheté Holmi. Un petit cargo né en 1961 -45m de long, calant 3,5m, avec une cale pour 800 tonnes. Pas fait lui non plus pour les « boîtes », donc transformé dès 1965 en dragueur-suceur (je ne sais si c’est le terme exact mais je l’adore), cale réduite de moitié et désormais à ciel ouvert.


Voilà 30 ans que Kjeld et Holmi trifouillent pour leur compte les eaux côtières ouest-groenlandaises, sans relâche de mars à décembre. Au printemps ils sont dans le sud, esquivant tant bien que mal les glaces qui remontent depuis le Cap Farvel ; l’été les trouve dans le Nord, vers Upernavik ; en automne les glaces les chassent vers la baie de Disko. Ils déchargent du sable, pour la construction ou la voierie, chargent des cailloux, du gravier, de la terre pour les tombes d’Uummanaq, ou les ferrailles de rebut de Qasigiannguit, qui seront compactées à Aasiaat avant d’être envoyées en containeurs au Danemark. Ils ploient sous le travail. « Hou ha ! Encore deux ans et j’arrête ! J’a-rête !» Kjeld pouffe. Personne ne le croit.
Ni Alvine, 75 ans dont « cinquante ans de Groenland », embarqué avec lui depuis quinze ans, après des débuts à la pêche puis comme patron de drague lui aussi. Ni Karl, 65 ans, originaire de Sisimiut, embarqué sur Holmi depuis seize ans, après avoir chaluté au Canada et au Svalbard et dynamité pour la construction des aéroports de son Groenland natal. Encore moins Albert, 61 ans, natif d’Aasiaat, qui a trouvé à bord son premier boulot stable, dix ans comme mécanicien. Albert, en confidence : « Kjeld est un grand homme ». Kjeld : « Je ne CHANGE PAS d’équipage ! »
Et le moteur, Kjeld, tu l’as changé ? – « Nooon ! Moteur d’origine, construit en 1960 ! (il fait le signe de croix et pouffe) Hou ha !! Je crois que c’est le plus vieux moteur du Groenland ! Hou ha ! Quand le moteur s’arrête, JE m’arête ! »

J’ai dit ailleurs et je n’hésite pas à le répéter : « Il est important de rester vieux ». Les quatre du Holmi eux le vivent !
Ah, Karine, qu’est-ce que je regrette de n’être pas resté pour l’hiver.
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