Le Manguier, dernier logement à l’ancienne d’Aasiaat ? par Karin Huet

Près de l’église se trouve un genre de tumulus. C’est une maisonnette d’hiver traditionnelle, la seule de la ville, aux murs doublés de pierre et de tourbe. Par ses deux fenestrons vitrés, on discerne dans l’obscurité une pièce unique, dont l’ameublement évoque les récits de Paul-Émile Victor. En fait c’est beaucoup plus propret. Il s’agit de l’annexe du musée d’Aasiaat, que j’ai enfin visitée hier. Me cognant le front sur le linteau, en sortant comme en entrant.
Mis à part ce détail, l’ambiance me rappelle… le bateau ! Pittoresque, douillet et fruste à la fois.

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On se croirait à bord. En réalité, c’est le musée et l’une de ses deux responsables (photo au flash).

Avant le départ de Phil en octobre, mesure antigel, les deux cap’tains ont purgé tous les réservoirs d’eau douce. La toilette se fait à la lingette ou, une fois par semaine, contre espèces sonnantes, au Somanshjemmet (Maison des Gens de Mer –en fait un hôtel) ou bien, à bord, avec une casserole d’eau. J’ai suggéré à mon chef de garder nos urines pour nous laver les cheveux, comme j’ai lu qu’on faisait autrefois en hiver à cette latitude. Bien que diplômé en anthropologie, il a décliné.

La vaisselle ? Je proposerai à l’amirauté de creuser des écuelles dans la table, ingénieuse coutume rustico-médiévale. En attendant, chacun utilise son assiette en céramique ultra-personnelle, en la décroûtant à la salive linguale ou à la berbère (quelques gouttes d’eau suffisent) quand la couche alimentaire devient trop offusquante.
D’où vient l’eau du Manguier ? Pour l’instant, c’est moderne : d’un édicule municipal, pas trop loin du quai. Eau courante… traînée.

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J’apporte l’eau au port sur un traîneau fabriqué par Phil.

Les Mangonautes avertis connaissent bien les deux poêles du carré, qui permettent d’y atteindre des températures tropicales : la grosse poussive Dickinson au gasoil et le petit vif au bois… Comme le mercure accuse quand même une baisse sérieuse, Keven a doublé aujourd’hui les capots vitrés du carré avec d’épaisses plaques de Styrodur. L’effet nuit polaire est certain. On allume les loupiotes à leds, voilà tout.
L’heure du coucher venue, nous descendons dans les cabines frigorifiques. C’est par économie que nous n’y allumons pas de chauffage. Chaque soir, à cet instant, je me sens comme un morceau de baleine jeté au fond d’une fosse à viande dans le permafrost –les souvenirs de Tchoukotka affluent.
Et aujourd’hui, telle une isba russe, notre maison danse sur ses amarres. Coup de vent de nord-est. Une laisse de glace s’accroche au quai métallique.

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Au musée comme au bateau, le confort réside dans le poêle et la cuvette (à gauche sur la photo, la cuvette -derrière le corbeau empaillé).

2 réflexions sur “Le Manguier, dernier logement à l’ancienne d’Aasiaat ? par Karin Huet

  1. Tant d’abnégation à visée anthropologique (shampooing à l’urine, économie de chauffage…) force l’admiration et me confond (si l’on peut dire…). Mais je vais quand même lire au coin du feu ce soir. Bises à la compagnie. jmB7

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