Non, ce n'est pas encore la débâcle, c'est-à-dire "la rupture de la glace dont les morceaux sont emportés par le courant" ainsi que la définit Le Petit Robert et qui ne devrait pas se produire avant le mois de Juin.
Pour l'instant c'est la fonte de la neige sur la banquise. Les fractures de la glace ne sont pas encore assez importantes et nombreuses pour permettre l'écoulement des eaux. Du coup, l'eau douce reste en surface formant de vastes piscines plus ou moins profondes.
L'autre jour, Philippe et moi sommes partis au village, laissant Agathe aux bons soins du Manguier. A certains endroits l'eau nous parvenant jusqu'aux genoux, nous avons rejoint la motoneige garée sur la côte en combinaison de survie. Puis nous avons suivi la trace toute fraiche d'une autre motoneige qui venait de longer la plage. La piste est maintenant le négatif de ce qu'elle était il y a quelques semaines, les reliefs ont fondu et se sont creusés quasiment de façon proportionnelle à leur hauteur précédente. Creusés et remplis… Comme il est relativement tôt, nous bénéficions encore du durcissement dû à la fraicheur nocturne mais les patins de la motoneige s'enfoncent par endroit dans une soupe de glace. Nous visons les îlots de neige, nous détournant des flaques trop sombres. Tant que c'est bleu clair, il paraît que ce n'est pas trop profond ! N'empêche que ça fait bizarre, l'eau remonte jusqu'aux cale-pieds, le moteur faiblit, rame et… et… ne sachant jamais s'il va caler ou repartir, l'adrénaline monte ! Ouuuh qu'ils sont longs ces 20 petits km qui nous séparent de Paulatuk ! Heureusement, il y a quelques zones de neige plate et solide qui nous permettent d'apprécier le vol lent et lourd d'un cygne ou les somnolences des phoques sur la banquise. En arrivant au village, la situation est encore pire, les parties plus ou moins solides sont au milieu de la baie, il nous faut donc repartir vers le large pour pointer ensuite sur le village. On n'en mène pas large. Les pétarades du moteur prennent des sonorités de clapotis et puis, ô miracle, ça passe ! Mètre par mètre, les skis finissent par mordre du solide et nous grimpons enfin sur la grève.
Au village, nous avons un peu tous les sons de cloche quant aux routes à suivre : Il faut coller à la plage quitte à rouler sur le sable ou bien il faut traverser la baie en ligne droite tant qu'il n'y a pas de faille ouverte de plus de 80 cm. Mais t'inquiète pas, c'est pas profond ! (D'autres nous avouent qu'ils ne circulent plus en cette saison).
Nous faisons notre tournée : courses de vivres frais, courrier, internet, quelques visites (mais avec l'arrivée des oies, le village se dépeuple à toute vitesse) et terminons par la station essence. Nous optons pour le retour par la traversée de la baie en partant de la pointe de l'aéroport, c'est là qu'il y a encore le plus de neige. Un poil nerveux, tout de même ! Le départ se fait sur du mou-liquide, mais rapidement nous passons sur du mou-souple qui porte.
Dans Argo Bay, c'est à nouveau de grandes flaques d'eau bleu clair dont nous nous dépatouillons sans trop de mal. A l'horizon, le Manguier veille sur nous, ce qui psychologiquement parlant nous facilite la tâche. Une fois à bord, en déballant les courses, sur les trois douzaines d'œufs, seulement deux ont fini en omelette. Agathe est confortablement installée en train de regarder un film policier. Tout va bien, elle a fait ses devoirs nous dit-elle !
Le lendemain, nous avons la visite de Jason parti chasser l'oie et qui était curieux de visiter le bateau, il nous raconte que la veille ils ont mis 5 heures entre Argo Bay et Paulatuk. Ils étaient plusieurs avec des traineaux. Ils se sont tour à tour enlisés. Et après ? Ben après ils se sont tour à tour tractés. A plusieurs, sûr que c'est mieux ! "Mais en cette saison, y a toujours du monde qui passe ! Tu n'attendras pas longtemps !"