La température affiche –32°C accompagnée d’un petit vent, ça se fait ressentir à -47°C. Même Andy renonce à partir à la chasse au phoque. Pour guetter au trou, on attendra un jour un peu plus chaud (ce que je traduis instantanément par un peu moins froid). J’espère que ce ne sera que partie remise. Je rentre chez Ray où j’ai laissé Philippe en bonne compagnie devant un match de hockey (ce sont les jeux olympiques d’hiver à Sotchi !) apparemment passionnant : Canada/Finlande.
Ce matin, Ray a jugé que les deux petits corps mis à décongeler d’abord sous puis sur la table du petit déjeuner avaient atteint la bonne souplesse. Donc, on les ramène dans la chambre où trône la télévision (pas question de perdre une miette du match) on déplie des cartons à même le sol et ainsi débute la leçon du plumage d’oie.
Ce sont deux oies des neiges, chassées au printemps car elles sont plus grasses en cette saison puis mises au congélateur en l’état.
Donc, on démarre à la base du cou (celui-là sera pelé avec la peau ainsi que les ailes) en ébouriffant légèrement les plumes pour mieux les attraper avec deux doigts un peu comme si l’on cueillait des tiges. Il ne faut pas en prendre trop à la fois si non c’est trop dur. D’abord les plumes du dessus, après le duvet. Il faut se mouiller les doigts pour mieux attraper et décoller la matière. On enfourne dans un grand sac poubelle, par poignées entières, les plumes qui volent et qui se collent partout. Ici au concours du plumage, les femmes peuvent faire ça en 3 minutes. Moi, pour venir à bout de ma bête, je mets à peu près deux heures ! Ray me console en me disant que j’en ai une qui a la peau noire et on ne sait pas très bien pourquoi mais c’est plus difficile.
Ensuite (le match terminé depuis belle lurette, nous sommes redescendus dans la cuisine), on passe à la découpe de l’animal. On commence par les pattes, une incision circulaire sur la peau au niveau de l’articulation permet de détacher le morceau. Comme elles ont été congelées un moment, cela les a desséchées mais quand elles sont fraiches, ça fait un jouet sympa pour les enfants. « Regarde, me dit Ray, si tu tires là (un petit bout de tendon blanc dépasse) ça déplie la palme, et si tu lâches, ça la referme, ça amuse les gamins ». Bien, je tacherai de me remémorer l’astuce à l’occasion !
Après les pattes, on dépiaute les ailes en incisant de la même façon puis en tirant la peau à contre sens, de même pour le cou et la tête. Puis vient le croupion qui n’a pas été plumé non plus. On le coupe sans le trancher en faisant attention à ne pas percer le gros intestin chargé d’excrément. Puis on agrandit l’ouverture en remontant le thorax et on vide l’intérieur en décollant les organes avec la main et en faisant tout glisser par le bas. Seul le gésier est conservé. Il faut l’ouvrir et le nettoyer, il est encore plein de sable et d’herbes à moitié broyées. Ça libère un fumet très fort et très particulier.
Arrivé à ce stade, il ne reste plus qu’à choisir le mode de cuisson. L’une est prévue pour une soupe (le tout est mis à bouillir dans une grosse marmite de fer blanc bosselée. En cours de cuisson, on ajoute les aromates à savoir une poignée de riz, deux poignées de spaghettis coupés en deux. En fin de cuisson, on retire l’huile de l’oie qui servira à y tremper les morceaux de viande au moment de la manger). La seconde, on l’assaisonne et on la met à rôtir avec des légumes
Il est environ 20h00, lorsque nous attaquons les agapes. La cuisine s’est emplie des filles et petites filles de Ray (Gloria, Rebecca, Mélissa, Ayonna, Mysti, Isabella et le dernier né Lennox, petite crevette de 11 mois qui gambade en couche culotte et qui s’empiffre goulument de bouillon gras). En quelques minutes, seules quelques os et carcasses surnagent.
Je conserve quelques trophées, que j’emporte soigneusement dans notre chambre : deux extrémités d’ailes (droite et gauche) pour en faire des balayettes (très usitées pour nettoyer les miettes dans les recoins) ainsi que deux petites calottes emplumées (la peau de la tête avec toutes ses plumes. Ce sera du plus bel effet , me dis-je, sur une petite sculpture).