Impressions arctiques #4, par Jérémie Bossone

Quelques mots à propos de ces deux semaines arctiques.

A défaut d’avoir tout dit (la chose paraît impossible, tant l’expérience vécue en 15 jours bouscule nos habitudes et notre vision du monde), je pense avoir un peu résumé ma pensée à travers les mots laissés dans le livre d’or, et ceux que nous avons échangés durant la restitution. Mais essayons de creuser encore un peu.

Ce fut un moment spécial, une brèche ouverte au milieu d’une vie qui me pousse ordinairement sur d’autres sentiers. Mon métier de chanteur me permet de voyager, et c’est une chance. Des lieux, j’en vois. Mais je ne fais généralement que les traverser. Je débarque, je chante, je repars. Cette fois, au Groenland, grâce à la durée du séjour et au cadre particulier de cette résidence, j’ai pu stopper un peu ma course. Prendre le temps. Ne pas entrevoir, mais voir. Même si l’on ne voit jamais tout.

Ce fut un moment privilégié. Et pour ce moment vécu à vos côtés, une fois encore : merci Phil, merci Gwen !

C’est l’un de ces épisodes qui marquent une existence, et ça au moins, il n’est nul besoin de prendre du recul pour le mesurer.

Vous nous demandez ce qui nous a manqué dans ce séjour à bord du Manguier ?

Ce qui nous a manqué tient moins au bateau qu’à nos attentes préalables. Je reviendrai sur ce point.

Bon, que dire…

En dehors de ma difficulté à trouver l’équilibre entre les moments artistiques et les moments sociaux, en dehors de ce petit malaise qui fut le mien devant vos capacités culinaires, en dehors de la culpabilité que vos talents en la matière ont réveillé chez moi qui en suis totalement dépourvu, si vraiment je dois chercher ce qui m’a « manqué », allez, je dirai peut-être : une expédition à six, vers le centre des terres, un périple plus long, plus « aventureux », loin du navire, où nous ne serions pas tenus de rentrer chaque nuit…

Mais tout en formulant ceci, je n’ignore pas qu’une telle expédition impliquerait un créneau temporel plus large que ces quinze jours, et surtout une autre préparation, une connaissance plus approfondie du milieu, un engagement plus entier envers les pôles, un cadre plus spécifiquement dédié à leur étude, et qui déborde de loin celui d’une résidence d’artistes de passage dans le coin…

Bref : le petit garçon qui veille en moi veut toujours « plus d’aventure », sans se soucier de la faisabilité de ce qu’il rêve. Mais moi, qui à défaut de connaître l’Arctique comme ma poche, n’ignore pas les frontières qui bornent certains rêves de gosse, je ne peux raisonnablement m’estimer déçu.

Le rêve du gamin s’est juste confronté à la réalité du terrain. Le résultat de cette confrontation, c’est l’une des grandes choses que j’étais venue chercher dans cette région.

J’ai donc eu ma réponse. Et nul doute que celle-ci résonnera dans l’œuvre qu’il me faut entreprendre à présent. 

Globalement, je crois que tout dépend de cela, de « ce que l’on vient chercher » dans ce type de séjour. Et très vite on le voit, un équilibre s’impose : ce que l’on perd d’un côté, on le gagne d’un autre. C’est logique, inévitable, et très bien ainsi. Cela est valable pour les petites comme pour les grandes choses.

Exemple d’une « petite chose » : certainement, la présence à bord de toilettes aurait ajouté un point au confort, mais leur absence en a ajouté un au pittoresque, et entre le confort et le pittoresque, mon choix est vite fait !

Exemple d’une « grande chose » : en ce qui concerne mon travail, j’espérais que ce séjour à bord du Manguier lui fournirait une piste, une sorte de découpage narratif de l’œuvre à venir. Ce fut le cas. Seulement, alors que je m’attendais à me voir orienté vers un récit de type Odyssée (multitude des lieux, l’Arctique dans sa diversité géographique), les choses ont plutôt pris la direction d’une Iliade (unité de lieu, le Manguier et ses environs).

Tournure un peu déroutante, mais qui n’est pas pour me déplaire : d’abord parce qu’elle me prend à contre-pied et que j’aime être surpris, ensuite parce que la mise à jour de cette « tendance Iliade » s’inscrit finalement dans la lignée de mon travail narratif de ces dernières années. Et je n’avais pas songé à cet angle de vue, c’est quand même fou !

Bref : là encore, j’arrivais avec une question, et une réponse m’a été donnée. Une réponse surprenante. C’est parfait.

Ce que j’essaie de dire, c’est que dans ce type d’aventure, il importe de relativiser nos attentes, ou du moins, de les mettre en perspective avec ce qui nous est donné au moment où, sans quoi l’on peut vite passer à côté de l’essentiel.

Le lieu n’est pas là pour nous conforter dans nos attentes, mais pour nous faire réagir.

Pour une vision qu’on perd, on en gagne une autre. C’est inévitable, et c’est précieux. Il nous faut simplement conscientiser ce phénomène, afin de dépasser nos attentes et apprécier pleinement ce qui nous est offert. La lumière est là, quelque part. A nous de manœuvrer vers elle. Je crois que chacun à sa manière, c’est un peu ce que nous avons tous fait.

Merci à vous deux pour avoir rendu cette petite manœuvre possible.

Merci pour votre curiosité de l’autre, pour votre humanité.

Ce séjour à bord du Manguier a tenu ses promesses, et porté ses premiers fruits. Plus qu’à travailler à l’éclosion des suivants. Mais ça, c’est déjà une autre aventure…

A bientôt, en quelque autre lieu que ce soit… Et d’ici là, vogue le navire !

Amitiés,

Jérémie


Une réflexion sur “Impressions arctiques #4, par Jérémie Bossone

  1. Sincère beau et touchant ce que tu dis Jérémie. Tu verras que ton Iliade va se transformer en Odyssée créative pour longtemps ! C’est souvent après que naissent les déplacements, les nouvelles naissances, les nouvelles routes à emprunter. Beau voyage au long cours pour longtemps encore.

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