Depuis combien de temps je marche sur cette banquise ? par Cora

Depuis combien de temps je marche sur cette banquise?
Depuis toujours il me semble.
Combien de fois suis-je morte de beauté devant, ou plutôt au milieu de cet indescriptible?
Tous les jours sûrement.
Heureusement, on renaît de ses cendres, chaque matin,
en faisant du pain,
en rallumant le poêle.

Qu’est-ce-que je suis venue chercher, déjà?!
Je savais que je voulais prolonger la capture d’un microcosme sonore, entamée sur les glaciers de mes montagnes: enregistrer les craquements de la banquise quand la mer monte, le chant des gouttes qui redescendent vers leur destin sous la chaleur d’un rayon, le froid qui resserre la matière en des gémissements cristallins.
Et le silence aussi.
Le silence d’où peut naître des chants nouveaux,
parce que l’esprit est clair,
parce que le froid me resserre autour de mon noyau.
Et puis un matin, je réalise que je suis venue chercher des sensations de l’enfance,
des traces d’expéditions rêvées, parce que vécues il y a si longtemps.
Comme si sur la banquise, la glace pouvait garder intacte l’enfance.

En vrai, un trésor d’Archipel:
Ici, mes pas me conduisent vers des lames de glace, entre rive et mer,
rejetons de marées et de marées.
Et à ma grande joie, sous mes doigts, les lames résonnent comme des percussions de glace.
J’ai trouvé un ballon jaune,
Sur la banquise de mer,
je m’en suis fabriqué des mailloches
pour mes balafons de glace,
pour mes balafons de gla-ace,
pour mes balafons de gla-ace.

J’étais venue encombrée de multiples breloques électroniques rassurantes,
d’un paquet de câbles, et bien sûr de mon ordinateur.
Oui, avec l’idée très sérieuse de produire, monter, découper, triturer ces sons enregistrés,
d’hybrider sur le champ cette matière organique à l’électronique de ma récente mutation urbaine.
Un matin, l’ordinateur ne s’allume plus.
Alors gentiment, je l’ai refermé: « merci bien Monsieur »,
et j’ai repris la marche.

J’ai repris la marche;

J’ai sillonné mille fois l’île de l’Est qui regorge de balafons de glace, mêlé mes diagonales à celles du renard qui en connaît chaque caillou;
Monté, redescendu la montagne de l’Ouest pour des causettes avec les corbeaux qui viennent y voir tomber la nuit;
Parfois, souvent, seulement marché droit devant sur cette banquise où je réalise bêtement:
« Oh! mais la glace est salée! »
Marché pour vérifier qu’un iceberg pouvait être presque noir,
ou alors c’est à cause de cette lumière, de ce soir…
Marché pour rendre visite aux pêcheurs patients qui nous ramèneront peut-être le repas de tout à l’heure;
Marché et puis écouté allongée au milieu du passage des îles les craquements affolants d’un changement de marée, jusqu’à presque s’endormir de froid;
Marché jusqu’au village, à travers la tempête pour aller tricoter avec les femmes, ou pour aller rendre visite à « Pitaara l’oeil pimpant » et s’échanger quelques chansons exagérément mimées: c’est plus drôle quand on comprend l’histoire…

Marché
Marché
Et beaucoup chantonné en marchant,
En murmures, à tue-tête,
En ne me souciant plus de produire quoi que ce soit,
chantant seulement pour la joie d’être là,
Ici et Massakut *

Depuis combien de temps je marche sur cette banquise?


* massakut: maintenant, en groenlandais

 

 

 


7 réflexions sur “Depuis combien de temps je marche sur cette banquise ? par Cora

  1. tu marches depuis tellement longtemps que je ne reprends le traîneau qu’en marche de loin en loin
    tu marches depuis plus longtemps que moi qui suis pourtant né avant
    et même avril

    je prends le traîneau en marche, aussi pour te dire que :

    « Le silence d’où peut naître des chants nouveaux »
    s’écrirait plutôt :
    « Le silence d’où peuvent naître des chants nouveaux »

    car si les chants sont plusieurs et qu’il pleut, ils pleuvent, ils sont nouveaux.
    à moins que ce chant ne soit seul,
    alors il peut, seul

    entre pleuvoir et pouvoir

    c’est nouveau

    mais c’est vrai, c’est la même banquise

    je

    T
    A
    L
    C

    Tito

    J’aime

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