Profitant d’une belle journée d’hiver, pas de vent, soleil, température à -20°C, j’ai démarré la bonne vieille Toundra (qui est partie au quart de tour, toujours aussi incroyable !) pour retourner voir le Manguier. Pas grand chose de différent depuis ma première visite, sans doute un peu plus de glace encore, quoique le côté hors d’eau soit lui débarrassé d’une partie de sa pellicule de glace. Je n’ai toujours pas voulu monter à bord, appréhension bien sûr, et puis tout seul, ce n’était pas forcément une bonne idée. Peut-être un jour demanderais-je à Rikka de m’accompagner.
Pour le moment donc, attendre. Attendre jusqu’au mois de mai. Les grandes marées de mai, les plus fortes de l’année ici, auront lieu les 26, 27 et 28 mai. Avec une amplitude de quasiment 3 mètres: 0,06 cm à basse mer, 2,94 cm à pleine mer.
L’autre période qui pourrait convenir est le mois suivant, les 25, 26 et 27 juin. Avec là aussi 2,96 cm à marée haute, et 0,18 cm à marée basse.
Je suis en contact avec deux équipes de plongeurs. L’une d’elle est dans le Vercors, des spéléologues spécialisés dans les moulins de glace qui viendraient donner la main. Ils sont habitués à plonger dans des eaux froides et pas très faciles … c’est le moins qu’on puisse dire. L’autre est basée en Corse, eux aussi spéléologues, et de surcroît pompiers. L’idée étant d’en avoir une prête à venir en mai et l’autre en juin. Car tous ceux qui ont un jour mit le pied en Arctique savent qu’ici c’est Sila (le Temps) qui décide. Or rien ne dit que les conditions météos seront propices au renflouement du Manguier à la fin du mois de mai. D’où l’idée d’avoir un plan A et un plan B. L’objectif des équipes étant bien sûr de faire une inspection de la coque, de boucher toutes les prises d’eau de mer, évents et autres ouvertures de manière à rendre le bateau à peu près étanche. Puis de pomper.
En ce moment, je m’occupe de contacter tous les gens que je connais sur place pour savoir ce dont on pourra disposer. Ici à Akunnaaq, la mairie pourra me prêter une moto pompe. Les pompiers d’Aasiaat en ont une aussi, à disposition. Enfin la grosse boîte de construction KJ est en train d’en acheter une neuve, de fort débit, 120 m3/heure. Dommage que la mienne soit restée à bord et maintenant prise dans les glaces. Même si on la récupère, je pense qu’elle sera foutue.
Avec 2 ou 3 bateaux ayant les pompes à bord, le Manguier pourra être vidé assez vite de son eau. Restera ensuite, une fois qu’il flottera, à le déséchouer. C’est un peu la difficulté, tous les gros bateaux de pêche étant en pleine période de pêche. Là aussi je pense qu’il faudra que je fasse appel à KJ qui dispose de deux petits remorqueurs.
Et après ? Je me pose bien des questions, mais c’est aussi en évaluant l’état du Manguier après son hivernage forcé dans les glaces qu’une décision pourra être prise. Je caresse l’idée de pouvoir en faire quelque chose (un bateau musée/visite/salle d’expo/lieu de rencontre ?)
Difficile encore à prévoir aujourd’hui, d’autant que les élections municipales au Groenland auront lieu en avril et que de leurs résultats dépendront sans doute pas mal de choses.
En quittant le Manguier, je suis allé voir Rikka, qui pêchait un peu plus loin sur la banquise. Il était seul, venu avec ses chiens et son traîneau. Il pêchait à l’ancienne, c’est à dire en faisant des trous dans la glace tous les 5 m environ pour passer un guide qui lui permet ensuite de mettre son filet. Toujours le sourire aux lèvres. Je l’ai serré fort dans mes bras, ça m’a fait tellement plaisir de le voir là, en paix avec sa solitude, ses chiens, et ses « ugat » qu’il sortait de la mer pour en récupérer la laitance. Rikka fera-t-il partie des rares bénéficiaires d’une licence de pêche individuelle ? Elles sont délivrées au compte-goutte, au profit des gros navires de pêche. Bien évidemment, à terme, ça signifie la désertification des villages, et la fin de cette belle liberté qui est l’apanage des gens d’ici.







