9 août 2015
D'un détroit à l'autre par Phil le marin

En mer, dimanche 9 août, 11h45 heure GMT. Olivier et Patrick sont de quart, Ulysse et Philippe Oddou ont repris une nuit un peu courte, Cécile s'active à la cuisine avec Robert, Philippe Rigaud scrute la côte avec circonspection, Joss bouquine. Et chose exceptionnelle, le scribe du jour pianote sur son ordi. Exceptionnelle car j'ai rarement la disponibilité d'esprit pour le faire. Mais aujourd'hui le temps est superbe, grand soleil, pas une vague, pas un souffle et la côte est lointaine.
Je prends donc le temps d'un petit flash back, à savoir notre traversée de Sisimiut (Groenland) à Bowdouin Harbor (Canada).
C'était il y a à peine quelques jours, mardi 4 août plus précisément, que nous quittâmes le mouillage (tiens, ce passé simple, ça me dit quelque chose …). Fièvre et excitation à bord. Patrick nous a concocté des quarts de barre, cuisine vaisselle, mais aux fils des heures et de la houle grandissante, il s'avèrera que seuls ceux de barre seront respectés. Faut dire que partir pour une longue traversée à peine embarqués n'est pas du goût de tous les estomacs !
Il fait beau, la mer est belle, le vent léger du Nord. Parfait pour nous qui mettons le cap au sud-ouest, en déployant la seule voile qui reste à bord, le yankee (les autres ont explosé !). Cap sur la banquise, qui est encore toute proche sur l'île de Baffin, Vagabond nous l'a confirmé. Cap au SW pour montrer la Belle, la Majestueuse, l'Envoutante banquise aux " green horn " (les " bleus " en américain) !
La première journée voit le vent du Nord fraichir, la mer du vent se former, et la houle de Sud apparaître (le vent souffle fort un peu plus bas). Les quarts se succèdent, le loch engrange des milles, la pénombre commence à apparaître. Et avec elle les premiers icebergs ! Enormes !!!
Au petit matin, à l'endroit prévu, longue bande blanche sur l'horizon : la banquise. On se bouscule sur le pont avant ! Clic, clac, photos par çi, films par là : nous la longeons de près au cas où un " tit ours " nous ferait l'honneur de sa visite. Mais non, pas d'ours pour aujourd'hui.
Ce petit break agréable, d'autant que la mer est moins formée, se prolonge par un excellent bouillon concocté par Robert à partir des os de bœufs musqués gardés de la veille (on avait trouvé à acheter de l'umingmak au marché de Sisimiut, délicieux).
Le cap est à nouveau mis au SW, vers Resolution Island, l'entrée nord du détroit d'Hudson, mais de façon moins guillerette : la houle de sud s'amplifie, croisée avec le vent de NW, et les forts courants de marées du sud de l'ïle de Baffin sont là pour agrémenter le tout. Résultat : une mer chaotique, dans laquelle le Manguier progresse imperturbable, mais au détriment de son équipage. Les deux jeunes ne quittent plus les banquettes du carré (Ulysse se demande sans doute ce qu'il est venu faire dans cette galère …), et les plus grands sont moyennement vaillants, sauf Philippe Oddou qui enchaîne lecture sur sudoku, absolument insensible au mal de mer ! Injustice naturelle, comme tant d'autres …
Les quarts du matin sont carrément lessivants, à l'ouvert de la baie d'Iqualuit. Mais notre routeur météo, installé à Montévidéo, nous confirme que les vents prévus sont faibles, et s'orientant à l'ouest à partir de vendredi en fraichissant. La fameuse " fenêtre " souhaitée pour franchir le détroit d'Hudson ( 5 à 7 nœuds de courant …) est donc ouverte. Pourtant à 4 h du mat, devant les bonds surprenants du Manguier, j'hésite à laisser porter sur Resolution Island. Mais cela nous fait faire 25 milles vers l'ouest, alors que le détroit ne fait que 60 milles vers le sud … alors, on continue !
Toujours de la brume, épaisse, et la nuit qui est maintenant bien installée pendant 4 heures environ …
Teuf teuf teuf, les milles défilent sinon le paysage. Ambiance !
Et puis, surprise, miracle, la brume se lève. Comme dans un rêve, les îles apparaissent d'abord par leurs sommets, puis peu à peu entières : Button Island, entrée sud du détroit, Knight Island un peu plus à l'est. Et bien sûr le soleil revient aussi ! La vie reprend à bord, d'autant qu'une bande de globicéphales croisent notre route : grands et petits, en route pour la baie d'Hudson. Nous les suivons un moment, avant de reprendre notre cap.
La terre ! Ah comme ça fait du bien. Beaucoup de courants dans le coin, le loch affiche 11 nœuds ou bien 7, selon les moments. Sur la carte, j'ai repéré une baie au nom prometteur, Bowdouin Harbor (je précise à ceux qui ne le sauraient pas que le Manguier est équipé du meilleur moteur du monde, le Baudouin 6 cylindres, anciennement made in Marseille !). Si c'est pas un clin d'œil ça ! En approchant on aperçoit une voile au sud ! Incroyable ! Et qui va vers Bowdouin Harbor aussi. Un ketch aurique, une barbe blanche, des capes de mouton ! D'autant plus incroyable. Et, enfin, dernière surprise, passé la pointe d'entrée dans la baie, un cotre au mouillage !!! Mick, Russ et Allison deviendront nos compagnons de quelques jours. Mais c'est une autre histoire, en partie déjà contée il me semble !
Il nous aura fallu 57 heures de navigation pour boucler les 507 milles. Mais surtout, les 2 détroits les moins fréquentables sont déjà dans le sillage ! Waouh !


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