Bellot Strait, le passage, par P. Ducos

Le b.a.-ba de la stratégie militaire : l'assaillant doit surprendre l'assiégé.
Nous choisissons donc le tout petit matin (les aurores chez nous !) pour nous tapir à l'entrée ouest de Bellot Strait après nos quelques jours de navigation chaloupée et savamment tricotée.
La dernière "avancée", entamée depuis 24 heures, nous a menés depuis le 74ème nord jusqu'ici. Une somptueuse navigation certes, ensoleillée et riche de tous les feux réunis du ciel et de la mer arctiques, mais non sans avoir bataillé ferme avec les rusés et glacés avant-postes de l'adversaire, lourdement compactés en travers de Peel Sound et bien ancrés à la hauteur des îles Hummock. Un minuscule trou de souris aperçu le long de la côte, quelques flaques un peu plus faiblardes et le Manguier sait vite se pousser des coudes pour en faire, contre toute attente, un mini passage salvateur.
Bellot endormi, Bellot enrubanné de glaces sur son entrée ouest, mais Bellot dégarni ! Car si le détroit montre encore les gros biscottos de ses blancs gardiens, le courant est notre allié et les réserves adverses de glaces trop peu nombreuses pour ne pas épuiser les divisions de gros glaçons emportés vers la sortie.
Nous restons sagement ancrés à l'abri du flux, respectueux du valeureux détroit qui aura tenu "contre vents et marées" jusqu'au 29 août.
Beau joueur, il s'ouvre enfin, un peu triste sous un ciel également bien sombre, nous offrant une majestueuse entrée entre deux murailles de bronze …
Savourant l'instant et la beauté de l'échange, nous saluons au passage le dernier carré de la garde suisse de l'adversaire : de redoutables, hiératiques et fiers blocs de glace accrochés à ses flancs d'airain. Trop inoffensifs maintenant pour défendre qui que ce soit, mais témoins de la grandeur de l'hôte et de son immuable prestance.
Quelques milles pleins de retenue et de vigilance pour ce moment clé de l'aventure : une simple pétouille sur la carte mais qui nous habitait depuis longtemps.
Nous quittons enfin Bellot, presque à regret, la besace aux rêves délestée de quelques fleurons et celle des souvenirs gonflée comme un spi sous les alizés …
En route pour Baffin !


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