Keven Grondin ou les prémices d’une Résidence Arctiqu-stick, par Karin

Le port d’Aasiaat est complètement abrité des houles du large par une digue Grandeur Nature, i.e. un archipel d’îles disposées en chicanes, formant une ligne continue à un mille de nous, façon port de Brest. Le navire est ligoté à quai plus solidement que Gulliver au sol en ses débuts à Lilliput. Mais souplement : il coulisse de haut en bas, au gré de la marée, contre une échelle de fer heureusement pour moi placée en face de la coupée bâbord, ce qui facilite l’accès aux joies citadines, neigeuses ou verglacées. Rarement, esquisse de départ, le vent éloigne la coupée (et l’ensemble du navire) de ces joies ; pour les rapprocher on pèse alors sur un ficellou (j’enseigne le provençal à Keven le Québécois, gardien en chef du Manguier) ad hoc. Une fois tous les 3 jours, on a vraiment l’illusion d’avoir pris le large : Keven fait tourner le moteur au point mort (en prenant soin de retirer la chaudière qui, pour prévenir l’enneigement du moteur, chapeaute la cheminée – la « chaudière » est un banal seau, mon chef québécois m’enseigne sa langue étrange). Voilà pour les manœuvres depuis 1 mois. Cette paix me convient.

Keven Grondin, qui, depuis 1 an et demi, a entre autres descendu à la voile la côte est américaine jusqu’au tropique à bord de Jean-du-Sud, en duo avec Yves Gélinas, le Moitessier québécois, puis a, en tant que capitaine en second du Manguier, côtoyé Terre-Neuve, navigué en Mer du Labrador et traversé le Détroit de Davis, pourrait s’impatienter. Pas du tout. Car Keven a plus d’un mancheron à sa barre.

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Keven avec un voisin de quai

En fait, la résidence arctistique a déjà commencé. Keven écrit à bord son premier roman. Qui traite de marginalité, de jeunesse et de révolte étudiante à Québec. En une langue qui défie mes capacités ordinaires de relectrice. Un échantillon : … la première comme la dernière fois qu’elle s’est allongée près de moi, sans jupon ni jarretière, j’ai exactement pensé la même chose : pourquoi aurions-nous envie de baiser une fois de plus, un verre dans le front, la pelouse dans l’anus, l’opium dans le sang, la nuit sans soleil, une matraque au lever du jour ? Et il en est à la page 185 !

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Comme si ce travail ne suffisait pas, Keven est parfois réquisitionné par Birgit Gedionsen, qui vient de reprendre le bar-restaurant Tugulaq (Le Corbeau), pour exercer un autre talent artistique. Il passe des heures en cuisine à préparer et cuire des pizzas (à la mode Manguier).

Keven est heureux. Il ne regrette qu’une chose : sa Royal Enfield Bullet 500. Elle ferait merveille sur la glace, avec deux skis comme stabilisateurs.

 

 

 


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